Cofondateur et président de Mécénat Chirurgie Cardiaque, Patrice Roynette travaille depuis 15 ans à développer les activités de son association et impliquer toujours plus de partenaires et de familles d'accueil. Si le chemin parcouru est aujourd'hui déjà fantastique, il a encore beaucoup d'idées pour continuer à faire prospérer Mécénat. Il nous livre ici quelques clés pour comprendre pourquoi humanitaire et esprit entrepreneurial ne sont pas nécessairement incompatibles.
Patrice, vous êtes président et co-fondateur de l'association Mécénat Chirurgie Cardiaque depuis 15 ans. Comment est venue l'idée de créer cette association avec Francine Leca et comment s'est elle concrétisée ?
Lorsque Francine dirigeait le service de Laennec et de l'hôpital Necker - elle a été une des premières femmes, si ce n'est la première, à pratiquer des interventions chirurgicales du coeur sur des enfants -, elle recevait des courriers de personnes étrangères lui demandant d'opérer leurs enfants. Et l'on s'est dit que nous pouvions créer quelque chose ensemble. Tout s'est fait assez rapidement, en un mois et demi, nous avons alors fait venir un premier enfant. Par mon cabinet de ressources humaines, j'avais des clients de longue date, qui ont pu apporter leur contribution financière. C'est ainsi que nous sommes parvenus à monter le Mécénat. Ma femme et moi avons été la première famille d'accueil et, travaillant tous les deux, ce ne fut pas d'une simplicité extrême. Puis nous avons demandé à ma belle-mère d'être famille d'accueil à son tour, à mon beau-frère aussi, et ainsi de suite. C'était très difficile au début car les gens manifestent une grande inquiétude à l'égard de ce que représente une opération du coeur : c'est une intervention lourde et importante.
Ensuite, c'est surtout en développant un réseau que nous avons pu faire évoluer l'association, découvrant au bout de 7-8 mois qu'en utilisant les médias, les réseaux associatifs, en communiquant auprès d'eux, nous réussissions à faire croître le nombre de familles d'accueil. La chirurgie est certes un acte technique, mais la clé du dispositif est la famille d'accueil. Grâce à Francine, nous avons pu opérer les 500-600 premiers enfants puis nous avons commencé - grâce aux chirurgiens qu'elle avait formés - à nous implanter dans d'autres villes, et à tisser progressivement un réseau de chirurgiens. Opérer en province et pas seulement à Paris permet de recueillir une notoriété nationale.
Nous avons fonctionné de la même façon pour la question logistique : au début, la structure logistique médicale était installée à Necker, et mes bureaux étaient rue Marignan. Le système était en partie autofinancé mais aussi permis grâce aux partenaires. Le grand danger d'une association est de ne pas durer dans le temps, de grandir trop vite et de ne pouvoir prévoir ce que l'on fera dans l'avenir. Les choses se sont lancées rapidement. Ma fille a dessiné le logo et nous avons très vite choisi le nom de l'association, même si beaucoup pensaient qu'il n'était pas assez percutant. Pourtant, et c'est assez intéressant, c'est ce nom qui a fait la force de la marque, et qui est désormais apposé partout.
Un autre point est que nous avons eu la prudence de ne pas dépenser ce que nous ne possédions pas. Nous sommes une association qui gagne de l'argent, mais une fois « rentré », nous le dépensons pour les enfants. On ne fait pas l'inverse.
Aujourd'hui Mécénat Chirurgie Cardiaque est totalement autonome.
Comment faire fonctionner une association humanitaire en basant son modèle sur des fonds d'entreprises privées à 90% ?
Contrairement à beaucoup d'associations, nous n'avons pas voulu vivre du marketing direct mais davantage d'évènements et de partenariats d'entreprises. C'est là notre culture : nous avons tenu à fonctionner comme une agence de communication et d'évènementiel et baser notre modèle économique là-dessus. Nous étions amis d'interlocuteurs exerçant les fonctions de directeurs de communication - par exemple - et leur expliquions le principe de notre action et ce que cela pouvait leur rapporter.
Nous avons assez ironiquement démarré « à l'envers », en ne partant pas du marketing direct. Cela aurait nécessité plus d'argent à la base, que nous ne possédions pas. Au-delà de la question financière, nous nous refusions à adopter des techniques qui consistent à envoyer des enveloppes en quête de dons aux gens.
Les évènements rapportent de l'argent et sont utilisés par les marques pour communiquer en interne et en externe, créant par ce biais de la notoriété pour l'association. Mais cette renommée passait aussi par les médias et les personnes connues. Beaucoup d'entre elles se sont intéressées à l'association après les premières émissions télévisées, et sont naturellement venues vers nous. Elles nous sont restées fidèles depuis et ont beaucoup aidé à la visibilité de Mécénat. Avec les marques, elles créent donc une alchimie qui permet de renforcer notre notoriété, récolter de l'argent et inciter tout un chacun à devenir famille d'accueil. En participant à une émission de télévision, nous savons que des familles vont se mobiliser à leur tour pour accueillir un enfant. C'est en cela que je parle d'un fonctionnement en « mode » agence de communication et d'évènementiel.
Est-ce que marketing et humanitaire sont justement facilement conciliables ? Par rapport à la vision du public d'un humanitaire qui ne doit pas devenir business ?
Nous avons en effet un fonctionnement marketing mais c'est aussi et surtout parce que le sujet est très simple. On explique que l'intervention chirurgicale d'un enfant nécessite tant d'argent et que cette somme servira cette action. C'est aussi pour cette raison que tout fonctionne très bien, car nous avons considéré qu'il fallait l'expliquer concrètement à ceux auxquels nous faisons appel. C'est simple, clair et transparent, et l'on sait où va l'argent, ce qui n'est pas toujours le cas. Nous nous sommes aussi beaucoup battus pour conserver un modèle à 80/20 : 80% vont à la chirurgie des enfants et aux factures associées, 20% au fonctionnement de l'association et nous nous acharnons à conserver ce fonctionnement car sans cette rigueur, ce serait un tout autre métier ! La tentation pour tout le monde est de multiplier les emplois, la communication et le reste et d'arriver à un équilibre 50/50, ce que nous ne souhaitons pas. Notre état d'esprit est proche d'une SARL, d'une entreprise proche des gens et c'est cela qui fonctionne. Le résultat est concret. Nous pourrions devenir plus gros, mais cela impliquerait à un moment de changer de modèle, ce qui n'est pas notre volonté aujourd'hui.
En réalité, plus que la question de grandir, je pense que l'évolution doit venir d'une fusion des associations afin de baisser les frais fixes. Cela implique des stratégies compliquées, mais en faisant fusionner les associations, ou du moins en les faisant exister sur un même site, les économies d'échelle sont importantes. Je pense que c'est ce qu'il se passera dans certains secteurs associatifs, et de plus en plus, car il faut s'attendre à une dizaine d'années plus difficiles en termes économiques.
Pour revenir sur ces 15 ans de Mécénat, quelles sont les évolutions de Mécénat sur la construction de l'entreprise et de l'image, quelles ont été les grandes réussites ou jalons ?
Il y a eu trois grands caps. Le premier a été un cap de notoriété. Grâce à mon métier et notre réseau - en grande partie dans le sport et le monde de la voile -, nous avons contacté des annonceurs et sponsors. Les grands sujets médias que nous avons réalisés au début ont eu un grand succès, et cela a été un vrai cap qui a fait connaître l'association au grand public. Le deuxième grand cap a été le partenariat avec le groupe Amaury et Amaury Sport Organisation. Ils ne nous ont pas donné d'argent directement mais nous ont permis de distribuer nos produits, sur le Tour de France par exemple. Indirectement, en outre, et en nous agréant, ils ont donné à Mécénat Chirurgie Cardiaque un « sceau » qui a permis d'accéder à bien d'autres partenaires. Cela a permis de passer un grand cap, de faire des opérations point de vente et de distribution. Enfin, le troisième cap a été administratif et organisationnel, nous permettant de recruter plus de monde, en faisant fonctionner l'entreprise de manière plus fluide. Le nouveau tournant concerne à présent les évolutions technologiques et les nouveaux médias.
Comment avez-vous justement pris ce tournant technologique ? Est-ce qu'il change quelque chose dans le fonctionnement ? La communication ?
Nous disposons d'un nouveau site plus moderne depuis un mois, qui fonctionne forcément mieux. Notre blog a aussi beaucoup évolué et attire plus de monde. Mais ce sont les réseaux sociaux qui sont clés aujourd'hui pour « exister ». Par exemple, ce qui fonctionne beaucoup, c'est le contenu que nous publions sur Facebook, qu'il s'agisse des histoires des enfants que nous opérons, des personnes qui travaillent pour Mécénat etc. Ils permettent une interaction avec les gens, qui posent beaucoup de questions et sont curieux de connaître un peu mieux nos actions.
Ce que cela change tout d'abord, c'est que la base des donateurs va se trouver rajeunie, intéressant de cette façon une nouvelle population à notre actualité et nos projets. C'est aussi et bien sûr une révolution pour les donations et la vente de nos produits. Mais c'est aussi une nouvelle donne quant au contenu que nous pouvons créer et diffuser, tels que des films de nos opérations. Mais un des enjeux du digital est qu'il faut savoir se renouveler, nourrir en permanence et proposer des choses nouvelles à chaque fois.
Ce qui est assez incroyable aujourd'hui, c'est qu'il ne se passe plus une semaine sans que nous ne soyons contactés par de potentiels partenaires souhaitant organiser des évènements avec nous.
Parce que Mécénat est devenu une marque forte ?
C'est devenu une marque forte et ceci est très simple à expliquer : elle a un côté très clair pour les gens. C'est pour cette raison que les entreprises s'intéressent à cette « marque ». Mon travail est justement d'essayer de faire fonctionner cette association comme une entreprise, et c'est peut être cela la clé de notre succès.
Pour autant, ce secteur semble encore parfois avoir du mal à allier vision humanitaire/associative et fonctionnement entrepreneurial ? Et certaines questions, telles que la globalisation, sont pour l'instant peu abordées. Et faut-il vraiment exactement fonctionner comme une entreprise ?
Tout d'abord, ce n'est pas forcément simple de fusionner avec des cultures différentes. Ensuite, la rapidité des prises de décision importe beaucoup. Dans les grosses associations, les conseils d'administration sont souvent très lourds, avec des personnes qui viennent parfois du secteur privé, découvrent le caritatif tardivement et se projettent dans l'association comme dans leur ancienne entreprise. Cela est problématique car le fonctionnement est différent, et ne pas le considérer comme tel bloque le système. On entend souvent que telle décision est « trop risquée ». Paradoxalement, le côté entrepreneurial est tué au sein de beaucoup d'associations parce que les conseils d'administration fonctionnent mal, bloquant le système. Le cycle court que nous avons chez Mécénat, dû à un conseil d'administration réduit, nous permet de prendre des décisions rapides et efficaces, même si cela inclut parfois des risques, notamment sur certains évènements que nous organisons. De cette façon, nous pouvons avancer.
Dans une association il faut savoir évoluer, ce que nous avons déjà beaucoup fait.
Comme par exemple l'accès à la formation pour des médecins pédiatres et cardiologues étrangers ?
Oui, la formation est un point essentiel. C'est une vraie source de dépense et non un apport financier mais c'est primordial, à la fois pour les pays concernés, mais aussi pour le réseau fantastique que cela permet de tisser dans le monde. Le parrainage des enfants - ndlr : suivi scolaire des enfants opérés - est également nécessaire, et nous avons pour cela une très bonne équipe bénévole. Enfin à plus long terme, j'aimerais pouvoir racheter du matériel d'occasion dans le but d'équiper les médecins qui viennent en formation ici, susceptibles de devenir une nouvelle antenne à l'étranger.