Interview du professeur Kalangos - l'implication humanitaire dans une démarche de développement durable

De passage à Genève, nous avons eu l'occasion de passer une heure avec le Professeur Kalangos, chef du département de chirurgie cardiovasculaire des Hôpitaux Universitaires de Genève. Fondateur de l'association « Coeur pour Tous » et plus récemment de la « Global Heart Network Foundation » avec Annabel Lavielle, le professeur Kalangos met la formation des médecins au coeur du processus d'aide des pays en voie de développement. Il nous explique ici pourquoi son implication humanitaire doit nécessairement s'inscrire dans une démarche de développement durable.

Quelles sont les origines de votre implication humanitaire et de la création de votre association « Coeur pour tous » ?

J'ai fondé « Coeur pour Tous » en 1998. Avant cela, le professeur Carpentier avec qui j'avais fait ma formation, m'a donné le goût pour l'humanitaire. J'ai eu l'occasion d'aller visiter un centre qu'il avait créé à Saigon et qui fait 1500 à 2000 interventions chaque année. Cet homme avait une vraie sensibilité humanitaire et lorsque je suis devenu chef de clinique aux Hôpitaux Universitaires de Genève, j'ai voulu à mon tour saisir l'opportunité de m'impliquer. A l'époque, la Centrale Sanitaire Suisse était impliquée dans la restructuration des activités sanitaires de l'Erythrée, qui menait une guerre contre l'Ethiopie depuis une trentaine d'années. Le président de la CSS m'a proposé de faire une visite de prospection pour voir comment prendre en charge les enfants souffrant d'une maladie cardiaque congénitale. La demande était très grande et à notre retour, nous avons décidé de créer cette association pour que nos démarches se concrétisent. Nous avons levé des fonds grâce à un conseiller d'Etat chargé de la santé et nous avons fait la première mission en 1998 : nous avons opéré une vingtaine d'enfants. L'Erythrée a ensuite repris la guerre ce qui nous a empêché de continuer mais en attendant la fin de la guerre, nous avons reçu des demandes d'autres pays, comme le Mozambique. L'île Maurice a été une grande étape : nous y avons créé un centre cardiaque destiné à accueillir les enfants des pays avoisinants. Ils y traitent actuellement 550 cas par an. Les personnes qui travaillent sur place ont été tellement bien formées que nous y avons démarré un programme de collaboration Sud-Sud. Désormais, ce sont eux qui se déplacent dans d'autres pays (au Botswana par exemple) pour y opérer des enfants. Nous avons formé toute cette équipe médicale à Genève, ils viennent aussi parfois pour mettre à jour leurs connaissances pratiques et théoriques. L'idée est de développer une démarche de développement durable.


C'est-à-dire ?

Il faut qu'il y ait une vraie collaboration avec le pays où nous agissons. L'île Maurice est un bon exemple car il y a une volonté politique, pas d'armée, pas de guerre et la démocratie. A l'époque, le ministre de la santé nous a beaucoup aidés et c'est une des clés du succès. Cette démarche de développement durable passe nécessairement par la formation. Lors de la visite de prospection dans le pays, nous identifions les ressources humaines, nous les faisons venir ici pour discuter avec eux, puis nous les formons. Nous leur donnons un poste au sein de notre département et ils retournent dans leurs pays de temps en temps pour opérer des cas complexes.


L'objectif à terme est de les rendre plus indépendants ?

Les lieux dans lesquels nous formons des gens doivent bien sûr à terme, devenir indépendants. C'est le cas par exemple du centre de Monsieur Carpentier à Saigon. A chaque collaboration, nous signons des conventions afin de mettre un processus de mise à jour de leurs connaissances au sein des Hôpitaux Universitaires de Genève. En effet, certains pays non développés ont d'anciennes méthodes ou techniques qui ne sont plus en cohérence avec celles de nos pays. Il faut aussi les aider à développer des compétences managériales, leur apprendre comment fonctionner selon nos critères de qualité. Nous sommes dans une démarche d'accréditation et de qualité et nous les amenons à développer cette réflexion. L'important est de les rendre plus performants, en qualité mais aussi en quantité. Un hôpital dans une ville de plusieurs millions d'habitants ne peut pas se limiter à traiter un seul cas par jour. C'est donc un ensemble, ne pas seulement leur montrer des techniques et leur tenir la main. Il faut parfois reprendre B-A-BA de cette prise en charge, qui repose par exemple sur la qualité de leur matériel.


Il faut donc nécessairement une volonté politique du pays pour avancer dans ce sens …

Bien sûr, il faut une demande du pays et une communication régulière avec les instances. A Chypre par exemple, nous avons démarré la chirurgie cardiaque suite à la demande du ministre de la santé. En Serbie aussi, suite à la guerre des Balkans, nous avons créé un centre au sein de l'hôpital universitaire pour prendre en charge des malformations congénitales à l'âge adulte puisque les enfants de la guerre avaient grandi sans pouvoir en bénéficier. Aujourd'hui, mon service est constitué d'un médecin Syrien, un Egyptien, un Indien etc. et l'on peut dire qu'il commence à ressembler aux Nations Unies !


Comment vous assurer que ces chirurgiens qui sont formés chez vous n'aient pas envie de rester dans une structure qui fonctionne aussi bien ? Vous faites confiance dans leur volonté de revenir aider leur pays ?

Nous leur faisons confiance, bien sûr mais il nous faut des assurances car parfois ils ne souhaitent pas repartir. Nous signons donc des contrats avec les autorités sanitaires du pays, qui engagent la personne concernée à revenir dans le pays et oeuvrer dans le service public pendant dix ans.


Dès le début de « Coeur pour tous », vous avez pris le parti d'opérer sur place …

Nous avons une collaboration avec « Terre des Hommes » et faisons venir chaque année une centaine d'enfants pour les opérer. En 40 ans, nous avons opéré plus de 6 000 enfants, et traité plus de 20 000 pour des bilans et gestes interventionnels mais cela reste une goutte d'eau. J'ai fini par me demander comment augmenter le nombre d'enfants qui pourraient bénéficier de cette prestation. On se rend compte alors que ce n'est pas suffisant de les faire venir ici : on pénalise les équipes médicales sur place qui ne peuvent pas se déplacer pour voir comment on opère, on n'apprend rien à personne. Pour augmenter notre impact, nous devons forcément passer par la formation. Mais attention, cela n'a rien à voir avec du tourisme médical : c'est avant tout un travail de prospection. Puis nous menons une démarche structurée, des entretiens préliminaires à la formation d'une équipe médicale complète. Lorsqu'un contrat est signé, nous débutons la formation, d'abord en opérant des cas faciles puis au fur et à mesure que les compétences augmentent, en réduisant le nombre des membres de mon équipe qui accompagnent l'équipe formée. Nous travaillons dans un esprit d'équipe avec les gens sur place, ils sont intégrés au fonctionnement de mon équipe et petit à petit, les compétences locales augmentent. Au bout d'un moment, je peux me déplacer seul pour opérer les cas complexes avec l'intégralité d'une équipe locale. C'est ça le but de notre démarche et elle passe forcément par la formation.


Concernant les pays en développement qui n'ont pas une volonté politique, y-a t'il d'autres solutions ?

C'est un grand débat, la chirurgie cardiaque est coûteuse. Bien sûr dans certains pays il y a des moyens. Je suis impressionné par exemple par la politique sanitaire de l'Inde, où une opération à coeur ouvert coûte désormais 1000 dollars, beaucoup moins que partout ailleurs. Les médecins indiens formés en Angleterre ou aux USA reviennent dans leur pays et ont un véritable savoir faire, il y a une population gigantesque et la main d'oeuvre pour la production du matériel ne coûte pas cher : ce sont trois gros avantages.

Pour les pays qui n'ont pas de volonté politique on se pose la question suivante : pourquoi pénaliser des enfants originaires de pays où les autorités sanitaires ne sont pas en accord avec l'OMS ? Dans ces pays, les missions dépendent seulement du tourisme médical et c'est souvent le secteur privé qui prend le dessus sur le public : c'est donc une minorité de la population qui a accès aux soins. Nous avons l'obligation éthique de les traiter avec la même qualité de prestation. Nous essayons alors de les faire venir, et là est tout l'intérêt de « Global Heart Network Foundation. »


Global Heart Network Foundation serait donc l'étape logique de la suite de votre raisonnement ?

Parfaitement, car elles permettent à toute famille de formuler une demande de prise en charge. Dans des pays où il n'y a pas de centre cardiaque, un enfant pourra être réorienté vers un pays voisin via la plateforme. Grâce à celle-ci, nous avons la possibilité de choisir la solution la plus adaptée autour du pays pour optimiser la prise en charge de l'enfant, dans notre pays, lors de missions exceptionnelles ou dans des pays voisins. Cela offre des solutions alternatives indispensables.


A terme, est-ce aussi un nouveau moyen d'accès à l'information, d'échange et de contact entre les médecins pour les pays en voie de développement ?

Bien sûr. La mission première de la plateforme est de coordonner la collaboration et les activités des différents ONG, s'agissant du matériel que l'on peut donner par exemple. En faisant des listes de matériel stockées par chacune des associations, nous pouvons augmenter l'interaction entre les différentes ONG en termes de collaboration.

Mais à terme, vous pourrez aussi par exemple, en tant que ministre de la santé, formuler une demande pour démarrer un programme de chirurgie cardiaque dans votre pays.

Par la suite, nous pouvons aussi imaginer une rubrique spécifique sur la formation, permettant de transmettre des informations sur la cardiologie pédiatrique, sur les centres de formation existant. Si un chirurgien souhaite faire un stage de perfectionnement, il peut formuler une demande et discuter avec les représentants médicaux affiliés à la plateforme.

J'organise chaque année le Global Forum (Ndrl : un congrès humanitaire qui aura lieu à Genève en 2013) : je compte par exemple diffuser, via la plateforme, tous les débats qui y auront lieu. Nous pouvons intégrer les pays émergents grâce à cette plateforme.

C'est un programme coûteux comme dans chaque démarche humanitaire, il faut récolter des fonds et les mettre à disposition des plus nécessiteux. C'est un puits sans fond ! Il faut pour cela que l'ensemble des ONG soient affiliées à cette plateforme. Nous avons justement l'intention d'organiser un débat sur les missions de cette plateforme lors du Global Forum afin d'avoir un grand nombre d'ONG impliquées. Il faut bien sûr un coût d'affiliation car il faut que ce programme soit sponsorisé. Au fond, ce sont elles qui en tireront profit. C'est une opération donnant-donnant.


S'agissant de la télémédecine, quels sont ses enjeux ?

Les pays nous présentent des cas pour lesquels ils ont du mal à se positionner. La télémédecine permet de transmettre l'imagerie et certaines données médicales biologiques. Cela créé un débat en temps réel et la possibilité de voir le patient en face de vous, l'interroger. Il existe certains programmes de formation qui sont directement transmis au pays avec une plateforme interactive qui leur permet de poser des questions en direct. J'ai parfois assisté à des présentations où vous recevez des questions qui viennent en direct d'Indonésie, d'Inde etc. Ces pays ont aujourd'hui ces compétences en termes de télémédecine. Ils ont ce savoir faire.

Nous avons fait la même chose avec le Mali, où nous avons envoyé des ordinateurs et nous maitrisons aujourd'hui le système. Les coûts y sont très faibles quant à la maintenance. Les gens apprennent et osent poser des questions car c'est un petit environnement et que ces programmes leur sont directement destinés.

Tout cela fait partie d'une démarche de développement durable. ...
 Article added on 2012-10-14 05:59:23




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