Dans la lignée de nos rencontres avec les enfants de Mécénat au Laos, nous avons fait route vers Phnom Penh où un rendez-vous similaire nous attendait. Hong Sokheang, médecin cardiologue et référent pour les enfants cambodgiens opérés par Mécénat Chirurgie cardiaque nous accueille donc au début du mois de février au sein du
National Pediatric Hospital. Une rencontre pour discuter des moyens mis en oeuvre au Cambodge pour prendre en charge les enfants atteints de maladies cardiaques mais aussi pour faire la connaissance de ceux (et de leurs familles) opérés ces dernières années par Mécénat. Et ils sont nombreux ! Tous ont fait l'effort de venir à notre rencontre pour rendre hommage à l'action de Mécénat, qui a changé leurs vies et celle de leurs enfants. L'occasion d'échanger avec eux sur l'hospitalisation et leurs ressentis avant et après l'opération.

Si Hong Sokheang est cardiologue pour le National Pediatric Hospital, le domaine de la chirurgie cardiaque infantile n'existe pas encore dans cet établissement. Les cardiologues consultent les enfants, établissent les diagnostics et prennent des décisions en fonction des pathologies. Mais ces décisions sont à titre consultatif et se limitent strictement à rediriger l'enfant vers un autre centre ou bien un autre pays, à aucun moment elles ne débouchent sur une intervention des médecins de l'hôpital. Pour l'autant, le National Pediatric Hospital n'est pas une petite structure dans le pays : il est l'un des deux seuls du pays à être spécialisé en cardiologie, ce qui amène des familles provenant de différentes provinces et régions à venir jusqu'à la capitale pour obtenir un diagnostic précis et détaillé qu'ils ne pourraient recevoir en campagne. Il existe bien des centres d'observation du coeur dans certaines grandes villes pour que les familles originaires de zones rurales puissent tout de même consulter mais les analyses y restent très sommaires. Lorsque le problème cardiaque est mineur, les soins sont administrés sur place. En revanche, lorsque l'on détecte une malformation plus sérieuse chez l'enfant, la tâche se complique sensiblement et les solutions très limitées.
Et puisque le National Pediatric Hospital ne peut opérer, les enfants sont généralement envoyés dans le second lieu spécialisé en cardiologie infantile du pays, l'hôpital Calmette, situé également dans la capitale. Cet hôpital a été bâti à l'initiative d'une autre grande association française luttant contre les maladies infantiles, « la chaîne de l'espoir », et permet depuis 2004 d'opérer directement et sur place les enfants atteints de graves problèmes cardiaques. Il permet aussi de diagnostiquer un nombre conséquent d'enfants chaque jour mais faute de financements plus importants et le prix d'une opération restant très élevé, leur nombre reste malheureusement insuffisant. Et comme le docteur Hong le souligne,
«beaucoup d'enfant attendent de pouvoir être opérés mais faute d'argent, le temps entre le diagnostic et la prise en charge est malheureusement parfois trop long pour certains enfants et les listes d'attente se remplissent indéfiniment ». La chaîne de l'Espoir est pionnière dans le domaine de la chirurgie cardiaque infantile au Cambodge et reste à ce jour, avec plusieurs opérations chaque mois à son actif, la seule structure stable à pouvoir opérer les enfants cardiaques dans le pays.
Son travail couplé à celui de Mécénat permet une complémentarité : la Chaîne de l'espoir n‘opérant les enfants qu'à partir d'un certain âge (ils doivent peser plus de 10 kilogrammes), la seule solution pour sauver un nouveau-né ou très jeune enfant est de le faire partir en France avec l'aide de Mécénat. Le cas de la petite Lim en est un bon exemple. En 2009, Lim a alors 10 mois, ne pèse que six kilos et souffre d'une grave malformation cardiaque, une communication inter-ventriculaire. Elle ne peut attendre de grandir pour être opérée, sans quoi ses poumons risquent d'être irrémédiablement endommagés. Lim est prise en charge par Mécénat et part donc se faire opérer avec succès à Nantes. Pour chaque enfant, le traitement se fait donc par étape, comme l'explique le docteur Hong :
« L'opération d'un enfant dépend bien sûr de sa maladie cardiaque. Nous statuons d'abord sur la nécessité d'une opération et si c'est le cas, si elle peut être effectuée à l'hôpital Calmette, nous le mettons alors sur liste d'attente. Dans le cas où l'enfant est déclaré inopérable sur place, nous l'envoyons en France grâce aux équipes de Mécénat. »
Dans ce derniers cas il faut compter deux mois entre le diagnostic de l'enfant et son opération en France mais ces délais dépendent bien sûr toujours de l'urgence de la maladie et chaque cas est donc traité de la façon la plus optimale. Quant à la collaboration avec des pays voisins, elle n'est aujourd'hui pas une solution puisque la Thaïlande ou le Vietnam acceptent de soigner ces enfants à des prix très élevés et aucun partenariat ne permet une aide ou une réduction de coût.
Les efforts de Mécénat Chirurgie Cardiaque et de la Chaîne de l'Espoir ne sont donc pas simplement importants, ils sont vitaux pour les enfants cambodgiens atteints de graves maladies cardiaques. Le docteur Hong travaille avec Mécénat depuis 2001 et il a oeuvré à la venue du premier enfant cambodgien en France, Takvika Ly, opéré à l'hôpital Européen Georges Pompidou. A ce jour, toutes les opérations ont été un succès mais le docteur Hong note tout de même, comme au Laos, la difficulté des familles à laisser partir leur enfant à l'autre bout du monde. La question de la confiance et les problèmes de religion sont souvent des freins. Une grande partie du travail du docteur Hong est donc de rassurer les familles et leur faire comprendre qu'envoyer leur enfant en France est l'unique solution pour qu'ils puissent survivre. Mais ce processus, ainsi que toute la partie administrative qu'il gère, prend du temps. Deux enfants sont actuellement susceptibles de rejoindre la France pour être opérés, chaque dossier étant minutieusement étudié.

Le « retour d'expérience » des familles est tout aussi important car il permet de rassurer les suivantes. Pères et mères présents lors de notre venue l'ont tous confirmé et sont aujourd'hui les premiers à inciter des familles dans des situations similaires à laisser leurs enfants entre les mains de Mécénat. Les enfants quant à eux gardent peu de souvenirs de leur passage en France mais leur vivacité pendant l'après-midi passée avec eux laissent à penser qu'ils ont repris le cours normal de leur vie, laissant derrière eux cette épreuve difficile.
L'action de Mécénat va plus loin que la venue des enfants puisqu'un médecin cambodgien a pu bénéficier d'une formation en France afin d'améliorer la qualité des diagnostics et d'identifier aux mieux les pathologies pour orienter l'enfant vers les meilleurs soins possibles. Quelques cambodgiens opèrent aussi à l'hôpital Calmette mais le souci majeur du Cambodge reste le manque d'argent et non de compétences humaines. Manque de matériel, d'outils adéquats pour opérer et surtout d'argent pour financer les opérations dans leur ensemble. Si le gouvernement investit modestement dans la médecine, le domaine de la cardiologie infantile est loin d'être une priorité au regard des autres maladies, principalement infectieuses. L'aide provient alors intégralement d'ONG et de donateurs privés. Enfin et comme dans de nombreux pays traversés, la chirurgie infantile est souvent délaissée au profit de celle adulte, plus rémunératrice et comportant donc plus de spécialistes.
La prise en charge des maladies cardiaques infantiles au Cambodge reste donc très faible et elle serait quasiment inexistante sans l'aide d'ONG et organismes étrangers. Et lorsque nous demandons au docteur Hong quels sont ses voeux pour les prochaines années, celui-ci reste très pessimiste quant à une action plus grande du gouvernement :
« le nombre de pathologies cardiaques infantiles est proportionnellement très faible comparé à d'autres maladies infectieuses plus répandues dans le pays. S'il est plutôt bien géré, le domaine de la cardiologie infantile a encore de très gros progrès à faire mais nous faisons face à un manque de moyens très important.
La solution pourrait, une fois encore, venir de l'étranger et de l'action incroyable d'un homme, Beat Richner. Chirurgien suisse au parcours incroyable, Beat Richner a oeuvré toute sa vie pour permettre à tous les enfants du Cambodge d'accéder à des soins médicaux gratuitement. Il traite aujourd'hui 90% des enfants du pays. Son challenge pour l'année 2013 : les maladies cardiaques. Un prochain article reviendra plus en détail sur l'histoire passionnante de ce bienfaiteur, grâce à qui le Cambodge a d'ores et déjà sauvé des dizaines de milliers d'enfants.