Darko Anic, la chirurgie cardiaque infantile en Croatie et le "Zagreb Cardiac Program"

Darko Anic, chirurgien cardiaque infantile à l'hôpital de Zagreb et fondateur du « Zagreb Cardiac Program », se bat depuis plusieurs années pour permettre à son pays d'opérer la majorité des enfants croates atteints de maladies cardiaques. Il revient dans cet entretien sur les difficultés rencontrées pour mettre un tel programme en place et le pérenniser mais aussi sur l'impossibilité actuelle d'établir un rapprochement avec la Bosnie où la chirurgie cardiaque infantile est presque inexistante.



L'hôpital de Zagreb est-il le lieu principal pour opérer des enfants atteints de maladies cardiaques en Croatie ?

Pour la chirurgie cardiaque infantile, oui. C'est le lieu où nous sommes le mieux équipés. Nous avons créé la structure dédiée à la chirurgie cardiaque infantile il y a peu. Auparavant, je travaillais à l'étranger et je suis revenu à Zagreb il y a deux ans pour mettre en place un programme spécial dédié à la chirurgie cardiaque infantile. Nous en sommes assez satisfaits aujourd'hui. Comme nous sommes le plus gros hôpital de Croatie, les enfants viennent du pays entier pour être opérés ici.


Et vous êtes à la base de ce programme ?

Je ne suis qu'un élément dans le processus. Lorsque nous avons voulu créé cette structure, le directeur de l'hôpital nous a beaucoup aidés. Cet hôpital date de la seconde guerre mondiale et il était temps de reconstruire quelque chose dans ce domaine.


Vous dites que tous les enfants de Croatie viennent dans cet hôpital pour être opérés. Des enfants viennent-ils aussi des pays voisins ?

C'est un des problèmes auxquels nous sommes confrontés et vous comprendrez avec le temps qu'il existe toujours des enjeux politiques lorsque de telles questions se posent. Nous avons bien sûr essayé de créer un lien avec la Bosnie (avec Annabel Lavielle) mais la situation de ce pays est problématique. Il existe en Bosnie trois nations ou sous-états et chacun d'entre eux essaie d'obtenir une légitimité : Serbes, Croates et Musulmans. Dans la partie Croate de la Bosnie, il existe un centre cardiaque pour Croate, dans la partie musulmane, un centre musulman, dans la partie Serbe, un centre Serbe. A qui donc parler pour essayer de mettre quelque chose avec en place ?

J'ai essayé, à plusieurs reprises, d'entrer en contact avec la directrice en chef du département pédiatrique de Sarajevo mais je n'ai jamais reçu de réponse.


Parce que la chirurgie cardiaque infantile n'est pas une préoccupation majeure dans leur pays ?

Je ne le sais pas. Mais j'ai réalisé pendant mes années de travail que les enfants sont souvent les laissés pour compte de toute situation. Ils coûtent cher et n'offrent pas de réelle visibilité. Les patients adultes rapportent plus et une fois opérés, peuvent parler en leur nom et donner une visibilité à leur cause, surtout s'ils sont connus. Les enfants ne sont que des enfants, et leurs parents sont bien souvent des trentenaires qui n'ont pas non plus d'argent. Partout dans le monde, les enfants sont les laissés pour compte. Même en Europe ou aux Etats-Unis, si vous observez qui opère aujourd'hui les enfants, vous vous rendrez compte que ce sont souvent des étrangers. Personne ne veut devenir un chirurgien cardiaque infantile aujourd'hui : aux États-Unis, la majorité d'entre eux sont indiens ou asiatiques.

J'ai discuté la semaine dernière avec une ancienne patiente, transplantée du coeur il y a dix ans. Elle essaie de donner une visibilité à ce problème dans son pays, en Bosnie. Nous essayons bien de faire venir des enfants de Bosnie en Croatie mais elle m'a expliqué que pour le moment, les enfants étaient laissés à leur sort.


Si cette démarche existe depuis cinq ans en Croatie, qu'en était-il avant ?

Il est important de garder à l'esprit l'histoire Croate si l'on veut comprendre l'évolution de ce problème. Nous avons fait partie, 500 années durant, de l'Empire Austro-hongrois. Nous avions donc les mêmes facilités d'accès aux soins. Avant la première guerre mondiale, beaucoup d'Autrichiens nous aidaient, médecins, professeurs, ingénieurs. Nous vivions sous leur influence. La dernière guerre, il y a vingt ans, a radicalement changé la donne car elle a tout détruit.

Mais nous avons des hôpitaux et je ne pense pas pouvoir dire que nous sommes un pays pauvre. J'aurais honte de dire que nous avons besoin d'aide et je pense au contraire que nous pouvons aider d'autres pays. Je pense aujourd'hui que ce sont des personnes comme moi qui peuvent aider ces personnes au Kosovo, en Albanie, en Bosnie. Nous sommes voisins, nous parlons la même langue et j'ai une équipe à même d'aller sur place pour les aider. Bien sûr nous avons besoin d'équipement, mais c'est tout ce dont nous avons besoin pour les aider.


C'est donc tout ce qui est nécessaire pour établir un programme ou une aide dans un pays ?

J'ai beaucoup voyagé avec Bill Novick et j'ai réalisé qu'il avait d'excellents résultats dans certains pays et de très médiocres dans d'autres. La hauteur de ce succès dépend toujours de la même chose : la politique. Si le ministre de la santé du pays en question était un bon ami ou le devenait, tout se passait à merveille. Dans l'autre sens, tout pouvait être bloqué à cause d'une mésentente. Malheureusement, c'est ce qu'il s'est passé à Zagreb il y a dix ans. A cette époque, le ministère a offert un poste à Bill et lorsque mon ancien directeur apprit la nouvelle, il poussa les médias à décrier le travail de Bill, à dire qu'il avait tué beaucoup d'enfants croates en les opérant et que c'était une mauvaise personne. Il dut tout arrêter. Et ce n'est pas le seul exemple que je pourrais vous donner. Cela s'est aussi passé en Ukraine, et je peux vous en parler car j'étais là-bas lorsque le programme a été stoppé.


A cause de la décision d'une personne, un programme de cette importance peut donc être coupé ?

A cause de la décision d'un homme oui. Mais aussi et surtout à cause de l'aide des médias. Lorsque vous ouvrez un journal et que vous lisez que tel médecin tue tant de centaines d'enfants en les opérant, vous pouvez vous douter de l'impact que cela peut avoir sur la population. C'est pour cela que je suis toujours très sceptique lorsque la politique rentre en jeu. Vous êtes encore jeunes, et faites ce qu'il vous semble juste, mais vous comprendrez avec le temps que même lorsqu'il s'agit d'aider les autres, tout tourne autour de la politique. Partout dans le monde, votre mission principale afin de venir en aide à une population sera de convaincre les politiciens de la nécessité de votre action.


Comment avez-vous commencé à collaborer avec Bill Novick ?

J'ai commencé avec Bill en tant que jeune chirurgien cardiaque. Lui était chirurgien depuis dix ans et il faudrait être idiot ou fou pour ne pas vouloir apprendre de lui. C'est un excellent chirurgien, un excellent médecin, et un homme profondément bon. Il m'a donc formé à la chirurgie cardiaque infantile. J'ai été engagé à l'hôpital de Zagreb juste après qu'il ait été évincé. J'ai ensuite moi-même décidé de partir et lorsque mon ancien chef a pris sa retraite, je suis revenu ici avec une seule idée en tête : rétablir un programme de chirurgie cardiaque infantile.


C'était un vrai challenge ?

C'en est encore un aujourd'hui. Vous devez garder à l'esprit ce qu'est la chirurgie cardiaque, à fortiori avec des enfants : il faut être très rapide, bien plus rapide que dans d'autres domaines. Une partie de notre staff n'est pas spécialisé dans ce domaine et cela ne peut être satisfaisant à 100% pour nous. Nous avons deux ou trois lits pour les enfants ici mais ce n'est encore pas assez. Nous n'avons pas la place et encore moins l'argent, surtout en période de crise économique mondiale. Alors nous réglons les problèmes semaine après semaine et moins sur du long terme.


Tout ce travail fait-il partie du « Zagreb Cardiac Program » ?

C'est encore un autre problème ! Il n'y a pas de programme à proprement parler. En réalité, on pourrait dire que le programme national sur la question se limite à mon programme ! Si je n'étais pas revenu ici, il n'y aurait pas de chirurgie cardiaque infantile ici, comme en Bosnie actuellement. Lorsque je suis parti il y a dix ans, il n'y avait rien et la Croatie envoyait ses enfants se faire opérer dans les pays voisins, en Allemagne et en Autriche.


Cela ne permettait pourtant pas de soigner tous les enfants ? Qu'en était-il des autres ?

Probablement rien. Car aucun pays n'est assez riche pour envoyer tous ses enfants se faire opérer dans d'autres pays. Il existe encore beaucoup de pays où sans l'action d'une personne, rien ne se passe. Je me souviens d'une chirurgienne cardiaque Slovène et chef de département dans son hôpital, qui avait à charge toutes les questions de chirurgie cardiaque de son pays. Lorsqu'elle a pris sa retraite, elle ne laissa personne derrière elle. Durant plusieurs années, la chirurgie cardiaque n'exista plus en Slovénie. A présent, ils ont embauché un Israélien qui vient de temps à autres pour opérer les cas les plus nécessiteux. Mais il n'existe aucun programme stable.


Dans de tels cas, que fait le gouvernement ? Est-ce que l'argent manque ou la chirurgie cardiaque infantile est un problème trop « mineur » pour qu'un programme soit mis en place ? Avez-vous vous-même reçu de l'aide du gouvernement au moment de le mettre en place à Zagreb ?

Je les ai bien sûr contactés mais je n'ai eu aucune réponse. J'ai contacté la caisse d'assurance santé Croate mais en quatre ans, celle-ci a changé trois fois de directeur. J'ai, de la part de chacun, reçu la promesse d'une aide future mais rien à ce jour.

Je me souviens avoir fait un graphique pour montrer combien d'enfants nous opérions à ce jour dans notre hôpital et pourquoi cela était une réelle économie pour le pays, comparé au fait de les envoyer se faire opérer dans les pays voisins. J'ai essayé de leur montrer que nous économisions de l'argent sur le transport, les frais d'opération, de chirurgiens plus coûteux à l'étranger. On pourrait donc penser que la solution est très simple.

Mais un autre problème rentre en compte : en opérant dans mon hôpital, je dépense l'argent de mon hôpital, qui n'est pas celui du gouvernement. Au contraire, lorsqu'un enfant est opéré à l'étranger, c'est l'argent du gouvernement.


Autrement dit, le budget de l'hôpital étant indépendant de celui du gouvernement explique la coexistence de ces deux solutions ?

Exactement. Le directeur de l'hôpital ne veut pas augmenter le nombre d'opérations de mon service car cela lui coûterait trop cher. Il est plus simple et moins coûteux pour lui d'envoyer les enfants se faire opérer à l'étranger. J'essaie donc de concilier les deux : récupérer de l'argent du gouvernement en leur expliquant que cela leur fait des économies et donner une partie de cet argent à mon directeur pour qu'il puisse tirer profit de cet échange et ne pas y voir seulement une nouvelle source de dépense. C'est mon intention d'établir ce procédé gagnant-gagnant.


Avez-vous de vrais espoirs pour le futur ?

Vous savez, tout est très dur à rendre réel. Je terminerai ce que j'ai commencé ici mais je n'aurais probablement pas la force de le recommencer ailleurs. Je suis optimiste et je n'aurais pas fait ceci à Zagreb si je ne pensais pas que cela pouvait marcher. Mais cela prend du temps.

Nous sommes aujourd'hui satisfaits de la situation. Nous opérons 150 cas par an, ce qui correspond exactement à trois opérations par semaine et mon chef ne pourrait pas me laisser opérer plus que cela, par manque de place et d'argent. Mais ces 150 ajoutés aux 70 petites interventions que nous faisons sont presque suffisantes pour la Croatie. En Croatie, 250 nouveau-nés nécessitent une opération chaque année, nous pouvons donc dire que nous sommes presque à l'équilibre. Le défi restant réside dans les cas supposés difficiles, qui sont encore pris en charge à l'étranger par manque d'équipement ici.

 Article added on 2012-10-29 07:04:27




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