Portrait du docteur K.M Cherian : réussite isolée ou modèle national ?

Le 20 octobre 2010, le docteur K.M.Cherian, fondateur et directeur exécutif du Frontier Lifeline Hospital, accueillait à Chennai des médecins du monde entier à l'occasion du 20ème congrès mondial de la World Society of Cardio Thoracic Surgeons mais aussi et surtout le 6ème Forum Mondial sur la médecine humanitaire en cardiologie et chirurgie cardiaque. Comme un symbole, le Forum Mondial avait lieu pour la première fois en dehors de Genève, offrant une occasion idéale de mettre en lumière et discuter des nouveaux challenges des pays asiatiques et panafricains. Mais la tenue d'un tel évènement en Inde, particulièrement à Chennai où le traitement des maladies cardiaques connait ses meilleurs résultats nationaux, dépasse très largement la seule portée symbolique. L'Inde est aujourd'hui un acteur majeur dans le domaine de la chirurgie cardiaque et conduit nombre de projets déterminants d'un point de vue médical et humanitaire pour les pays du Sud, avec des moyens qui n'ont rien à envier aux pays du Nord. Comme un symbole, le docteur K.M. Cherian ouvrait le congrès mondial en annonçant l'ouverture prochaine d'un projet pharaonique, le parc scientifique et médical Frontier Mediville, sans aucun équivalent dans les pays du Sud.



L'oeuvre du docteur Cherian est un exemple en la matière et a marqué une véritable prise de conscience dans son pays quant à la prise en charge médicale des plus démunis. Son hôpital ne représente pas seulement un centre de pointe pour l'Inde, il l'est aussi pour tous ses pays voisins. Le Frontier Lifeline Hospital, premier projet d'envergure du docteur Cherian en est une très belle preuve. Entièrement consacré à la médecine cardiaque, cet hôpital est équipé de structures et d'appareils à la pointe de la technologie, possède plus de 120 lits et certains des docteurs les plus expérimentés du pays dans le domaine de la chirurgie cardiaque. Il est aussi le seul lieu en Inde à même de pratiquer des transplantations cardiaques. 20% des patients pris en charge viennent ainsi de l'étranger, non seulement par commodité mais avant tout parce que les opérations pratiquées sont du même niveau que celles des pays occidentaux. La majorité des opérations des équipes de Frontier Lifeline sont réalisées à Chennai mais celles-ci opèrent aussi dans deux autres lieux du Kerala (état voisin). Dans ces deux autres cas, le service cardiaque des hôpitaux est intégralement géré par Frontier Lifeline.

Le Docteur Cherian est le symbole de tout un pays, le symbole de l'avancée de l'Inde dans de nombreux domaines, particulièrement ceux des nouvelles technologies et de la médecine. Il est le symbole du mouvement de bascule qui se créé pour les pays en voie de développement et l'indépendance qu'ils acquièrent au fil des années dans la mise en place de structure technologiques mais aussi humanitaires. Considéré comme un véritable héros national, les textes le présentant tarissent rarement d'éloges quant à ses réalisations. La raison majeure est qu'il fut précurseur dans le domaine de la chirurgie cardiaque en Inde. Premier chirurgien à pratiquer une greffe d'artère coronaire en 1975, premier à avoir opéré une tétralogie de Fallot, premier à avoir effectué une transplantation cardiaque, il a pratiqué à ce jour plus de 38 000 opérations. Mais au-delà de ses talents de chirurgien, le docteur Cherian a toujours oeuvré dans l'intérêt de son état et de son pays tout entier, afin de créer des structures permettant au maximum de patients d'être décemment traités. Et son travail s'étend bien au-delà des heures passées au bloc opératoire : il a à lui seul construit nombre de centres cardiaques et s'est évertué à améliorer la formation et les conditions de travail de ses employés, faisant de l'Etat du Tamil Nadu un modèle de réussite dans tout le pays.



Au fil des années, l'Etat du Tamil Nadu est donc devenu un carrefour national et continental en matière de chirurgie cardiaque. Selon le docteur Christopher Roy, chirurgien au Frontier Lifeline Hospital, cette évolution s'explique avant tout par l'avènement des nouvelles technologies et la place prépondérante qu'occupe l'Inde dans ce secteur. Les structures actuelles sont le résultat d'un siècle de travail et de recherche dans le domaine médical, mais qui n'ont pu éclore que grâce à la place de l'Inde sur le marché des nouvelles technologies. Le second élément de taille est la volonté de l'état du Tamil Nadu à oeuvrer pour une meilleure prise en charge. Le docteur Roy donne ainsi un exemple pour comprendre pourquoi l'état doit se mobiliser s'il souhaite améliorer sa politique de santé : « A Chennai, nous pouvons dire qu'il existe un véritable réseau entre les structures médicales et étatiques. Si par exemple j'ai une transplantation cardiaque à effectuer aujourd'hui, il faut que j'ai accès aux registres de donneurs au plus vite, il me faut l'accord des autorités, un accès immédiat de la part de l'aéroport pour récupérer le coeur, il me faut la préparation adéquate. Tout le processus dépend de la réactivité de l'état. Or dans certains états du nord, les structures ne sont même pas présentes. Il est donc difficile de parler de processus pour l'instant. »

Pour envisager l'ampleur de ce travail, il faut ainsi comprendre le fonctionnement indien s'agissant de la santé publique, et plus particulièrement dans les cas d'opérations lourdes et coûteuses. Le système de santé indien est majoritairement étatique et non national : certains états sont proactifs (le Tamil Nadu en tête), d'autres ne le sont que très peu. Il existe bien un système de couverture santé gratuit pour les revenus en dessous du seuil de pauvreté qui permet de se faire opérer dans tout hôpital privé. Comme nous l'explique Christopher Roy, « ces personnes bénéficient d'une carte et peuvent venir consulter dans notre hôpital. Nous acceptons un prix fixe minimal pour que le patient soit pris en charge par l'état, dans la mesure où l'intervention requise ne soit pas un cas trop complexe ».

Un autre segment de la population n'est pas en dessous du seuil de pauvreté et ne peut pourtant pas se permettre de telles opérations. Ceux-là peuvent souscrire à une assurance. Dans les faits, seulement 10% de la population fait aujourd'hui cette démarche, rendue pour le moment trop complexe et coûteuse par l'état. Pour les 80% restant, l'opération devra être payée à leurs propres frais. Une opération du coeur en Inde coûte en moyenne 200 000 roupies (3000€), un prix bien moins important qu'en France mais plus de dix fois supérieur au salaire moyen. Selon le docteur Roy, le problème vient avant tout de la passivité de l'état à instaurer un système national d'assurance accessible à tous.

La situation des enfants cardiaques en Inde est donc très instable et variable d'état en état. Si le sud du pays, particulièrement le Tamil Nadu et donc Chennai, possède de nombreux centres médicaux, certains états du Nord ne permettent même pas une prise en charge mineure des enfants cardiaques. La majorité des patients en Inde doit donc se rendre à Chennai, Bombay, Delhi ou Bangalore pour être opérée. Et puisque toutes les structures sont à la ville, la détection est aussi un problème central dans le milieu rural. Si le gouvernement peine à mettre en place un système de couverture santé plus équitable, il est tout aussi peu enclin à aider au financement de structures. Le docteur Cherian en a fait l'amère expérience lors de la levée de fond permettant la construction du Frontier Lifeline Hospital. La recherche de partenaires financiers est alors la solution unique pour permettre à un tel lieu de prendre vie mais le docteur Roy souligne assez ironiquement qu'il est aujourd'hui une fierté nationale pour le gouvernement, qui n'y a pourtant pas injecté un rupee. Pour les projets à venir, tels que la réalisation de Mediville, le gouvernement ne viendra pas plus en aide qu'auparavant, ne réalisant que trop peu le véritable atout que constituerait un tel centre.



Il existe donc un fonctionnement à double vitesse en Inde : celui des élites et des états développés, qui grâce à des structures modernes peuvent désormais accueillir nombre de patients étrangers et celui des classes rurales et des états laissés pour compte, qui pour la plupart meurent encore trop souvent sans même savoir de quoi ou doivent traverser le pays pour subir une opération. Tel constat ne doit pourtant pas ternir les incroyables résultats du docteur Cherian et de ses équipes. Il ne doit pas non plus enlever la fierté que peut avoir l'état du Tamil Nadu à avoir tant développé ses centres cardiaques jusqu'à devenir un lieu de référence pour l'Asie et l'Afrique. La réussite du Frontier Lifeline Hospital tient aujourd'hui autant au nombre de vies sauvées qu'à l'intelligence du travail effectué. Pour preuve les nombreux chirurgiens souhaitant être formés dans cet hôpital mais aussi tous ceux formés à l'étranger revenus pour aider leur pays. Selon le docteur Roy, le retour d'un chirurgien formé à l'étranger ne tient pas tant à un contrat signé avec l'état mais plus à la certitude pour celui-ci de pouvoir travailler dans des conditions décentes et avoir un salaire conforme à ses attentes. Ce dernier point, s'il peut paraître anecdotique, est en réalité l'une des bases du travail du docteur Cherian : « Si un médecin formé à l'étranger revient dans son pays et n'a ni les structures, ni le personnel, ni le salaire pour exercer son métier, cela devient un facteur limitant non pas seulement pour le chirurgien, ni même l'hôpital mais pour tout le pays ».

L'histoire dira si le travail du docteur Cherian, et la vie qu'il a consacrée à améliorer les conditions des enfants cardiaques est applicable aux états les plus démunis d'Inde. Pour le docteur Roy, « Le modèle existe et tout le monde sait comment le reproduire. Nous savons comment les choses doivent être faites et le temps fera les choses. Mais pas sans l'aide du gouvernement à l'échelle nationale, à commencer par une couverture de santé plus équitable et accessible ».
 Article added on 2013-01-06 07:19:30




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