Interview d'Alphonse Pluquailec - Président de "Santé France Laos"

De passage à Luang Prabang, nous avons eu la chance de rencontrer Alphonse Pluquailec, fondateur de l'association Santé France Laos et grand artisan du développement de la cardiologie au Laos. Grâce à son association et sa collaboration avec Mécénat, plus de 170 enfants atteints de malformations cardiaques ont pu être opérés à ce jour. En insistant sur la formation, l'amélioration des diagnostics mais aussi sur la nécessité de pouvoir offrir des consultations aux villages les plus reculés, Santé France Laos a beaucoup à faire dans un pays qui souffre encore de son histoire et d'un manque cruel de financements.

Crédit Photo : Jean-François Mousseau/Second Regard

Quand et pourquoi avez-vous créé Santé France Laos ?

J'ai fondé Santé France Laos en 1998. En 1995, lorsque nous sommes arrivés ici, il n'y avait rien dans le domaine de la cardiologie. Le Laos disposait uniquement d'un électrocardiographe monopiste pour tout le pays. Nous avons pris contact avec les médecins laotiens pour étudier leur niveau de compétence. Le niveau était très basique. Apres ce constat, nous avons contacté certaines organisations étrangères qui nous ont offert du matériel, d'abord des électrocardiogrammes noir et blanc, puis en couleur.

Mais même avec cela, nous pouvions uniquement diagnostiquer les malformations cardiaques. Certains médecins et moi-même nous sommes posés la question de savoir ce qu'on allait faire de ces enfants malades. Quel est l'intérêt de cette association si nous pouvons seulement diagnostiquer et non soigner ces enfants ?

C'est à ce moment que vous avez entendu parler de Mécénat ?

Oui, par hasard un jour où j'écoutais France Info, j'ai entendu parler de Mécénat. Je revenais d'une mission au Laos et j'ai envisagé la possibilité de confier ces enfants malades au Professeur Leca. Je les ai contactés et nous avons commencé à travailler avec eux en 1999. Cela fait maintenant 13 ans, le premier enfant est venu se faire opérer en France très peu de temps après la création de Santé France Laos. A cette époque, nous étions les seuls à pouvoir faire opérer les enfants dans tout le Laos, aucune autre association ne s'occupait de cela et il n'y avait aucune possibilité chirurgicale dans le pays.

Les familles concernées ont-elles accepté tout de suite que leur enfant soit pris en charge ?

En décembre 1998, j'avais déjà détecté quelques enfants atteints de malformations cardiaques et j'avais préparé leur dossier. Malheureusement, aucun de ces enfants n'a pu être opéré car les parents n'acceptaient pas de les laisser partir se faire opérer en France. C'était tout à fait nouveau pour ces familles et les questions de confiance et de tradition étaient un réel problème. Au Laos, si un enfant est malade et doit mourir, c'est la vie et il mourra dans son pays. Les laotiens sont par nature des gens très prudents et timides à cause de leur histoire et de leur culture. Ils ont été au milieu de nombreux conflits et ont toujours été dominés. Je pense que c'est naturel s'ils se protègent. Peu de temps après ces évènements, une femme est venue me voir avec un enfant dans les bras. Notre écographie noir et blanc nous a révélé qu'il était nécessaire d'envoyer l'enfant en France rapidement. Ce fut notre première opération, elle fut mouvementée mais s'est très bien déroulée. Lorsque l'enfant est rentré au Laos, guéri, tout le monde a parlé de cette première opération réparatrice en France. Cela a été le déclenchement et nous avons commencé à faire le tour du pays avec des collègues et des cardiologues pour faire des diagnostics. Aujourd'hui, nos objectifs sont aussi la formation des médecins et l'amélioration de la détection des malformations.



Comment expliquer l'absence totale d'infrastructures, de médecins et de matériel ?

La raison est principalement politique et historique. Le pays a été fermé de 1975 à 1988 et les médecins ont été formés sur le tas durant cette période. Lorsque Santé France Laos a commencé à former les médecins en 1998, ils étaient d'un niveau très faible. Notre premier objectif a donc été de leur enseigner les bases et d'équiper les hôpitaux. Le matériel et les structures à disposition étaient soit inexistants, soit trop vieux. Ces problèmes sont donc selon moi historiques et politiques. La situation commence peu à peu à changer, le ministère de la culture a par exemple investi dans la pédiatrie et la gynécologie pour mettre en place des formations de 3 ans. Nous commençons à avoir quelques spécialistes.

Encore aujourd'hui, vous semblez pourtant esseulé ? N'y a-t-il pas une formation générale des médecins par des institutions ?

Il faut savoir que le Laos est un pays sous peuplé en manque de moyen. Jusqu'à présent au Laos, il n'existait que la formation basique. Celle des infirmiers et des sages femmes existe depuis peu. Le problème est que nous vivons de l'aide extérieure. Les médecins étudient jusqu'à la médecine générale mais n'ont aucune spécialisation. L'enseignement de spécialités est uniquement l'initiative d'organisations étrangères. Le gouvernement laotien n'y participe pas, principalement parcequ'il manque de moyen. Sa seule action est donc d'accepter l'aide étrangère. Pour exemple, Mécénat choisit des médecins laotiens francophones et les envoie en France pour des formations. Ils reçoivent un diplôme d'aptitude dans la spécialité en question et deviennent compétents. Cependant, depuis l'an dernier, nous avons décidé de ne plus le faire car cela coûte très cher, le temps passé n'est plus suffisant pour se spécialiser et il y a de moins en moins de francophones au Laos. Il n'y a donc pas d'intérêt à les envoyer s'ils ne profitent pas pleinement de cette formation.

Existe-t-il d'autres organisations qui comme vous aident au Laos ?

Le gouvernement du Luxembourg nous aide depuis cinq ou six ans. Il envoie des chirurgiens qui viennent tous les 2 ou 3 mois à Vientiane sur une période de 15 jours pour opérer nos enfants. Ils ont déjà soigné entre 200 et 250 enfants et s'occupent également des cas bénins qui ne nécessitent pas de grosses interventions. Il est certain qu'aujourd'hui encore un certain nombre d'enfants ne sont pas opérés. Notre but est de sensibiliser les parents ou médecins pour qu'ils nous confient leurs enfants. Aujourd'hui, nous arrivons à soigner tous les enfants diagnostiqués grâce à notre collaboration avec Mécénat et aux interventions des Luxembourgeois.

Qui finance ces opérations ?

Le groupe de médecins luxembourgeois est intégralement financé par leur gouvernement. Santé France Laos fonctionne sur la base du bénévolat. Notre budget permet de payer les billets d'avion aux enfants et le reste est financé par Mécénat, les familles d'accueil et aviation sans frontière.

La détection est-elle plus compliquée en zone rurale ?

Il existe en effet des difficultés dans les zones rurales. Nous ne recevons généralement que les cas très grave. Certains médecins locaux repèrent des cas d'enfants malades et nous les envoient mais de nombreuses parties du Laos n'ont même pas accès à ce premier diagnostique. Notre priorité est d'informer les médecins et les familles pour qu'ils nous confient les enfants. En effet, le vrai problème est l'éloignement des petits villages.

Crédit Photo : Jean-François Mousseau/Second Regard

Quels sont les éléments clés pour permettre une amélioration sur le long terme de la situation des enfants atteints de maladies cardiaques au Laos ?

Pour mettre en place des structures et construire une stratégie long terme, il faut avoir des médecins performants. C'est la première étape. Or il n'est pas possible d'enseigner localement si l'on n'a pas un niveau de médecine suffisant au départ. Et faire venir des médecins de l'extérieur est très difficile. En France aujourd'hui, nous sommes en manque de médecins et il n'est donc pas possible de les faire venir. Un exemple est assez frappant : la Corée a fait construire un hôpital à Vientiane pour les enfants. Le service de pédiatrie est parfait mais il n'y a pas de médecin Coréen qui y travaille et donc les avantages de cet hôpital ne sont pas optimisés. La structure existe sans les ressources humaines. Mis à part le travail des luxembourgeois et de Santé France Laos, personne ne peut former nos jeunes. Actuellement, seuls 10 médecins ont été formés et ont reçu le premier diplôme universitaire du pays. Il manque encore beaucoup de spécialistes pour avoir un Laos indépendant. Le gouvernement aidant peu, la situation s'améliore mais lentement.

Pourrait-on imaginer, pour des raisons financières et pratiques, que des enfants soient envoyés dans des pays plus proches et compétents en matière de chirurgie cardiaque, tels que l'Inde ?

Différents pays et associations ont voulu aider le Laos mais cela n'a pas fonctionné car tout passe par l'appareil d'état. Il faut avoir l'autorisation du gouvernement, c'est très compliqué. Chaque projet doit prouver qu'il est valable, expliquer ses objectifs et est décortiqué par différents ministères. Ce n'est donc pas simple pour une organisation ou une association de travailler avec le Laos car il faut véritablement connaître le pays. Ce problème est local et politique. De plus, nous sommes toujours méfiants avec certaines formes d'aides. Il est arrivé que certaines organisations voulant nous aider aient apporté plus de soucis que d'avantages.

Aujourd'hui, le problème n'est pas financier. Le coût de l'opération est pris en charge par Mécénat et multiplier les pays avec lesquels nous travaillons serait ajouter des couches à une situation déjà complexe. Pour être efficace, il faut connaitre le pays. J'ai la chance d'y avoir vécu 15 ans et d'être d'origine laotienne. Même pour moi, cela n'a pas été facile d'être intégré et je viens seulement d'être considéré comme citoyen laotien. Cela facilite les choses et j'obtiens des autorisations plus rapidement. Mais ce processus prend du temps : beaucoup de compatriotes comme moi se sont installés en France et veulent revenir aider le Laos mais ils renoncent à cause du gouvernement. Le mode de fonctionnement du Laos est ainsi fait et je ne me permettrais pas de le juger.

Si le problème n'est pas financier, quel est-il ?

Actuellement, nous opérons en moyenne 10 enfants par an. Une année, nous en avons opéré jusqu'à 20. Cela n'est jamais un souci financier : le problème est lié à la détection des pathologies. Si nous réussissons à en détecter plus, Mécénat en opérera plus. Mais il est parfois difficile de détecter les enfants malades à travers le pays. Heureusement, grâce à notre réputation et notre présence au Laos, nous avons régulièrement des visites de familles qui viennent obtenir une consultation de leur enfant. Tout les cas sont soigneusement étudiés. Les médecins laotiens nous envoient certains patients mais privilégient l'action des luxembourgeois qui opèrent à Vientiane. Nous nous sommes entendus avec les équipes luxembourgeoises pour nous répartir les enfants à opérer. De cette manière, chaque organisation est indispensable et tous les enfants diagnostiqués malades sont opérés.

Vous avez fait construire un hôpital ici à Luang Prabang, quels sont les objectifs de cet hôpital ?

Le centre de Luang Prabang est tout récent, il est fonctionnel depuis janvier. L'objectif principal est la formation des médecins. Nous avons demandé à trois médecins laotiens de participer car ce centre possède trois pièces parfaitement équipées. Les médecins ont à leur disposition un plateau technique complet. De plus, nous avons équipé l'hôpital d'une bibliothèque avec des revues cardiaques. Ils peuvent aussi travailler avec internet ou avec moi lorsque je suis sur place. Mon rôle dans cet hôpital est uniquement de diagnostiquer les pathologies et de faire les dossiers des patients. Le centre du Luang Prabang a été financé avec notre petite réserve d'argent, nous avons travaillé avec des artisans laotiens et ça n'a pas été très couteux. Ce qui coûte cher, c'est le matériel médical. Il nous a été envoyé de France grâce à notamment l'Unesco et le Club service.

Nous avons encore du travail au Laos et je me laisse jusqu'à 2015. Il faudra encore du temps pour que tout se mette en place.

 Article added on 2013-02-07 04:42:27




Première page de collecte complétée
Afin d'aider les enfants de l'association, rendez-vous sur notre seconde page de collecte
 

Le 375ème Jour11 conseils (utiles) pour traverser l'Australie en Van
Interview du professeur Kalangos - l'implication humanitaire dans une démarche de développement durableEnfants cambodgiens et chirurgie cardiaque - les associations française en première ligne
Du chaos Indien au calme LaoDe Versailles à Perth, 150 jours en 5 souvenirs
 

Consulter les Archives 2012
 

Suivez-nous dans notre aventure

 

Gardez le fil avec notre flux Rss