Trois questions a Bill Novick

A 70 jours de notre retour en France, nous publions aujourd'hui le deuxième chapitre de notre série « Trois questions à », dédiées cette fois à Bill Novick. Bill Novick, chirurgien cardiaque pédiatrique de renommée mondiale et fondateur de l'International Children's Heart Foundation nous a offert la possibilité, tout au long du voyage, de prendre contact avec de brillants chirurgiens aux quatre coins du monde. Certainement l'une des personnes les plus à même de parler de médecine cardiaque humanitaire, il revient ici sur quelques souvenirs, des raisons qui l'ont incité à dédier tant de temps à la médecine humanitaire à son souvenir de mission le plus marquant.

Qu'est-ce qui vous a décidé à dédier une partie de votre temps à des projets humanitaires plutôt que de «simplement» pratiquer la médecine dans votre propre pays ?

Lorsque j'étais interne en chirurgie cardiaque au sein de l'University of Alabama, J'ai eu à faire à de nombreux patients étrangers qui venaient faire opérer leurs enfants par John Kirklin et Albert Pacifico. Nous avions beaucoup d'internes étrangers venus pour étudier, il y avait toujours entre 10 et 12 internes non-américains sur le Campus. Nombre d'entre eux sont maintenant devenus de célèbres chirurgiens dans leurs pays d'origines. J'ai donc été exposé très tôt au monde de la chirurgie cardiaque internationale et de manière constante durant mes 4 années de spécialisation à Birmingham. Les recherches de John Kirklin sur la tétralogie de Fallot étaient déjà très connues, de fait nous recevions un grand nombre d'enfants venant de pays extérieurs avec ce diagnostic. Une enfant de 12 ans est venue du Nigeria avec sa mère pour se faire opérer par le docteur Pacifico. Etant pauvre, elle a pu venir grâce à une association de charité locale qui a payé pour le voyage et la chirurgie. Elle n'avait pas une tétralogie de Fallot classique mais souffrait entres autres de problèmes pulmonaires et aortiques. Malheureusement, il nous était impossible de résoudre l'ensemble des problèmes de cette jeune fille. Le docteur Pacifico a donc corrigé ce qu'il pouvait, la petite fille s'en est sortie et s'est rapidement rétablie. J'ai par la suite expliqué à sa mère que nous n'avions pas été capables de corriger le problème dans son ensemble : sa fille souffrirait d'hypertension pulmonaire toute sa vie et celle-ci s'en trouverait écourtée. J'étais étonné de voir à quel point elle était heureuse malgré le fait que nous n'ayons pas pu lui apporter ce qu'elle espérait. J'étais émotionnellement épuisé. Comment aurions nous pu anticiper ces problèmes ? Les 6 semaines qui ont suivies, j'ai fait des cauchemars pendant lesquels cette enfant s'enfuyait, j'essayais de la rattraper mais elle tombait d'une falaise et je ne pouvais pas l'aider. Apres six semaines de sommeil difficile, j'étais une épave. Deux amis très proches étaient de Bogota, en Colombie et ils allaient revenir au pays dans quelques semaines. Un jour, ils m'ont pris à part et m'ont demandé ce qui avait changé, pourquoi j'étais si mal. Je leur ai parlé de mes rêves. Plus tard ce jour, ils sont revenus me dire qu'ils pensaient que cela pourrait être bon pour moi de descendre quelques semaines à Bogota pour les aider avec leur programme de pédiatrie sur place. Je suis rentré ce soir-là en pensant à quel point cette idée était incroyable et n'ai plus fait de cauchemar de cette enfant. 4 mois plus tard, le docteur Pacifico m'a laissé partir pour une mission et ce fut un voyage remarquable qui a changé ma vie. J'ai alors su que je voulais aider les enfants des pays défavorisés.



Pourriez-vous nous faire part de la rencontre ou de la mission qui vous a le plus marquée ?

Il y a quelques années, nous étions au Pakistan au sein de l'Institut des forces armées et l'Institut national de cardiologie et des maladies cardiaques. Nous y sommes allés quatre fois deux semaines afin d'essayer d'améliorer les résultats en pédiatrie et chirurgie cardiaque. Nous n'avions pas encore opéré de nouveaux nés et nous n'étions pas sûrs que le système de santé soit prêt pour cela. On m'a demandé de voir un enfant de l'unité de soins intensifs qui venait juste d'arriver, il avait seulement 3 mois, pesait 2,9kgs et semblait avoir eu de graves problèmes de malnutrition. On m'a dit qu'ils avaient essayé une première procédure standard sur l'enfant mais que cela s'était soldé par un échec. Son cardiologue pédiatre m'a demandé de l'opérer. Je lui ai dis que j'allais essayer mais considérant son âge, son poids et sa sous-nutrition, les risques étaient très importants. Nous avons opéré l'enfant et tout se passa parfaitement. L'enfant était guéri.

Immédiatement après l'opération, je me tenais debout devant le lit et le pédiatre cardiologue est venu me voir : « Monsieur, vous êtes un homme chanceux. ». Je lui ai répondu que ce n'était pas moi mais l'enfant qui était chanceux. Il m'a alors expliqué que j'étais bien le chanceux : « le grand-père de l'enfant est un guerrier Taliban afghan ! Ce dernier déteste l'Amérique et a dit à son fils de refuser l'opération de l'enfant car vous alliez le tuer ! » C'était ma première opération liée à un changement artériel au Pakistan et la première du pays (Ndlr : en anglais, Arterial switch operation) et le grand-père du patient était un guerrier taliban. Je lui ai dis que j'étais heureux de ne pas avoir été prévenu avant l'opération, il a ri et m'a avoué qu'il avait décidé de ne rien dire tant que l'enfant n'était pas en unité de soins intensifs.

Nous avions toujours un dîner d'au revoir à la fin de nos séjours, parents et médecins étaient invités. Ce soir-là, j'ai remarqué un homme âgé assis à la table de la famille, qui ne pouvait arrêter de me dévisager. Le dîner fini, le cardiologue pédiatre est venu me chercher car une personne souhaitait me parler. Cet homme ne parlait que Pashtun, le cardiologue a donc fait la traduction : il était le grand père de l'enfant de 3 mois que je venais d'opérer. L'enfant avait quitté l'unité de soins intensifs en bonne santé et se portait très bien. Le grand-père prit ma main et m'expliqua qu'il avait détesté les Américains et qu'il n'aurait jamais pensé pouvoir un jour dire merci à l'un d'entre eux, pour quoi que ce soit, que nous étions tous des gens mauvais, le diable incarné. Je l'ai écouté patiemment puis il a dit quelque chose dont je me souviendrai toute ma vie : « J'avais tort de penser comme cela, vous avez sauvé la vie de mon unique petit fils. Je vais retourner dans mon village et dire à tous mes hommes que vous les Américains n'êtes pas tous les mêmes, certains sont bons et nous ne devrions pas tous les haïr sous prétexte qu'ils sont Américains. » J'ai pleuré silencieusement, les larmes coulaient sur mon visage et l'ai remercié. Je l'ai regardé droit dans les yeux et lui ai dis « Allah Akbar », puis « Inch'Allah, nous allons tous apprendre à vivre ensemble un jour. » Il m'a souri et a répondu « Inch'Allah ».


Quel est aujourd'hui le plus grand combat à mener pour faire face aux maladies cardiaques infantiles dans les pays émergents ? Est-ce un problème politique, culturel, économique ?

En vingt ans d'investissement, j'ai constaté tous ces problèmes. Cela demanderait un ouvrage entièrement consacré aux points que vous soulignez, qui sont tous aussi importants les uns que les autres. Chaque lieu connait des challenges différents, et réussir dans un lieu signifie nécessairement les surmonter. Parfois, c'est impossible. Nous devons continuer à multiplier nos actions en se servant au maximum de toutes les ressources possibles. Ce que je trouve encourageant aujourd'hui, c'est le nombre d'individus qui ont réalisé l'étendue du problème. Quand nous avons commencé notre combat il y a 20 ans, nous étions seulement une poignée de personnes, de fondations et d'institutions investies. Aujourd'hui, il existe des centaines de personnes qui travaillent pour cette cause. Les choses vont changer.
 Article added on 2013-08-02 01:28:58




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