A quarante jours de notre retour et dans le cadre de notre série « Trois questions à », Habibata Cissé, cardiologue à Ouagadougou en collaboration avec Mécénat Chirurgie Cardiaque partage avec nous son parcours atypique dans un pays aux ressources limitées. Epouse, mère de famille et médecin, elle porte un regard passionnant sur la situation de la femme au Burkina Faso, particulièrement sur le futur de celles atteintes de maladies cardiaques.
De vos études de médecine entre l'Afrique et la France jusqu'à votre collaboration avec Mécénat, votre parcours doit être un exemple pour beaucoup ?
Au sortir du bac, j'ai bénéficié d'une bourse pour continuer mes études. Je me suis lancée dans la médecine malgré les réticences de mes parents car ces études avaient la réputation d'être très difficiles. A l'époque, toute personne ayant eu une mention au bac pouvait obtenir une aide de l'Etat. Ceci n'est plus le cas et il est plus compliqué pour nos jeunes de faire des études supérieures. Apres quatre ans sans encombre à l'université, un journaliste a été assassiné, provoquant un soulèvement populaire, surtout dans le milieu étudiant. L'année universitaire a été invalidée et j'ai du partir au Sénégal pour poursuivre mes études. Puis j'ai effectué ma spécialisation au Benin car l'Université de Ouagadougou ne le permettait pas. Ironiquement, le Burkina comptait à l'époque plus de professeurs titulaires capables d'enseigner la cardiologie que le Benin. J'ai continué ma spécialisation à Bordeaux où j'ai entendu parler de Mécénat. De retour au pays, j'ai travaillé quelques temps dans une clinique privée, où l'on me présentait des cas pédiatriques pour lesquels j'éprouvais des difficultés à établir un diagnostic. J'avais étudié la cardiologie générale, n'avais aucune pratique en pédiatrie et personne à qui poser mes questions. J'ai alors cherché une aide sur internet et j'ai vu que Mécénat proposait des formations. Mon dossier a été accepté et je suis partie en France pour un mois, étudier avec les plus grands professeurs de la discipline, de la théorie aux cas pratiques. Une heure suffit à traiter autant de cas qu'en 5 ans dans notre pays. Je suis désormais mieux armée pour diagnostiquer les enfants cardiaques et monter des dossiers que j'enverrai à Mécénat. Il n'y a pas encore de chirurgie cardiaque au Burkina-Faso et les procédures d'évacuation sont pour l'instant l'unique moyen de sauver ces enfants. Je viens d'ailleurs d'envoyer un premier dossier à Mécénat, une jeune fille de 12 ans, j'attends un retour de leur part mais je ne suis pas sûr qu'il soit accepté.
Pourquoi ne le serait-il pas ?
Pour un garçon il n'y aurait eu aucun souci, il aurait été opéré et aurait suivi un traitement anticoagulant à son retour ici. Mais c'est une jeune fille. Mécénat a pour philosophie d'opérer dans les cas où leur intervention entraine une guérison complète. Si l'on opère cette jeune fille, celle-ci ne pourra tomber enceinte sans prendre le risque d'en mourir. Et dans notre société, il est inconcevable pour une femme de ne pas enfanter. Une femme qui n'est pas mariée et n'a pas d'enfant n'est pas considérée, mise au ban de la société. Une grossesse est pourtant extrêmement compliquée pour ces jeunes filles. Elles ont souvent été soignées trop tard et leur coeur est déjà très fatigué. Leur traitement, trop dangereux pour le bébé, doit être modifié. Les médicaments sont alors injectés par intraveineuse ce qui est bien plus compliqué. Souvent, le traitement post opératoire est tout simplement arrêté. Même si le risque est immense, la femme préférera le courir. On comprend alors pourquoi Mécénat étudie ces dossiers avec le plus grand soin. 99% de ces filles tomberont enceintes. Les opérer, c'est prendre le risque qu'elles se tuent par désir d'enfant.
En tant que femme avez-vous rencontré des difficultés dans votre parcours professionnel et personnel ?
J'ai fait mes preuves sur les bancs de l'école et j'ai gagné le respect de mes confrères. Je n'ai jamais souffert d'une quelconque ségrégation parce que j'étais une femme. En tant que femme burkinabaise, on peut dire que j'ai eu de la chance. Lorsque j'étudiais à Bordeaux, j'étais déjà mariée et mère d'un petit garçon qui vivait chez sa grand-mère en Belgique. C'était dur, surtout pour mon mari resté au pays. J'aurais aimé poursuivre mes études dans le domaine de la pédiatrie cardiaque mais cela m'aurait pris deux ans supplémentaires et je voulais avoir le temps de tenir mon rôle d'épouse et de mère. Je me suis mariée à 24 ans, un âge tardif. En ville, les jeunes filles se marient autour de 20 ans et passé 30 ans, une femme ne trouvera plus de mari. Une femme qui n'est pas mariée n'est pas reconnue, elle est traitée comme une enfant. Une lycéenne de 17 ans mariée sera plus écoutée qu'une femme médecin de 28 qui ne l'est pas. Dans les campagnes, le problème est autre : des filles de 12 ans sont parfois mariées à des hommes beaucoup plus âgés. Nous luttons contre cela mais ces pratiques perdurent. Depuis quelques temps, le divorce est rentré dans nos moeurs mais la plupart du temps la femme est la perdante, si elle n'est pas carrément jetée à la porte. Les mentalités changent doucement mais la condition de la femme au Burkina-Faso reste compliquée.