L'amour de l'Afrique n'est pas rationnel, rarement prémédité, toujours total. Plus cet amour grandit, plus les paroles à son égard sont dures, parfois sans concession. Aux yeux du visiteur de passage, le discours des blancs installés en Afrique depuis des années, des décennies, pourrait vite s'apparenter au mieux à un mépris du riche expatrié, au pire à une dérive raciste. Il révèle en réalité une relation fusionnelle à l'Afrique, une fascination pour un territoire où il est impossible de vivre à moitié, ni en amitié, ni en amour, ni en affaires. Devenir un blanc africain, c'est plonger dans un vaste inconnu aussi déroutant qu'exaltant, c'est accepter que rien ne fonctionnera jamais comme prévu. C'est aimer que tout soit encore à construire et détester que rien ne le soit. C'est embrasser l'infinité de possibilités d'un continent en sachant que tout peut s'effondrer en un instant. C'est accepter qu'on ne sera jamais tout à fait noir, mais que l'on n'est plus tout à fait blanc.

Parler des blancs tropicalisés, c'est avant tout faire une distinction de taille avec les expatriés des multinationales occidentales, installés dans des quartiers hautement sécurisés, bien éloignés de la vie qui se déroule pourtant sous leurs yeux. Deux mondes cohabitent sans presque se côtoyer : les blancs qui vivent dans le pays et ceux qui vivent avec le pays, ceux qui oeuvrent à protéger les intérêts de groupes étrangers et ceux qui créent de toute pièce des sociétés locales pour faire vivre une région, ceux pour qui l'Afrique est un détour de carrière, ceux pour qui elle est devenue une seconde vie. Et à l'instar de quelques entrepreneurs français rencontrés au Togo, il existe une nuance qui résume la façon d'appréhender la vie en Afrique : on n'y fait pas carrière, on y fait des affaires. S'y installer, c'est donc avant toute chose oublier tout préconçu sur le fonctionnement à l'occidentale et remplacer les business plan par le culot. Nombre d'entrepreneurs blancs ayant assimilé cette logique donnent toute leur énergie pour construire pierre après pierre une dynamique économique main dans la main avec la population locale. Ce n'est jamais sans heurt avec les administrations locales à qui il faut souvent démontrer maintes et maintes fois pourquoi ceci peut être bénéfique au pays. C'est en revanche toujours dans le respect des règles et le refus de céder à une corruption ambiante et destructrice à long terme. Il faut donc emprunter la voie difficile pour faire sa place en Afrique, s'armer de patience et faire ses preuves autant de fois qu'il est nécessaire avant d'être accepté.
Etre accepté n'est pas être intégré, une distinction qu'il faut toujours garder à l'esprit : les situations politiques souvent instables des pays obligent à ne jamais rien prendre pour acquis. Et même dans le cas de sociétés prospères implantées depuis des années, générant quantité d'emplois, rien ne garantit jamais un passe-droit éternel : le moindre soubresaut peut obliger à fuir le pays dans la minute en laissant tout ce qui a été construit derrière soi. Cette instabilité n'est pas liée au seul cadre professionnel, elle est une rengaine immuable dans la vie des blancs installés en Afrique. Pour y parer, des règles doivent être respectées et agir comme une ligne de vie, inculquées par les anciens aux nouveaux venus. Faire profil bas les jours d'élections, s'entourer de locaux de confiance, ne pas s'arrêter aux feux rouges la nuit, embaucher des gardiens sont autant de marques de méfiance qui viennent rappeler l'immense fossé qui sépare encore les blancs tropicalisés des locaux. Car plus que tout autre lieu au monde, la couleur de peau est un indicateur social qui transporte jalousie et mépris dans un sens, méfiance et distance dans l'autre. Malheureusement et souvent à raison, l'homme blanc reste pour beaucoup le symbole d'un occident riche dont la mainmise sur le continent Africain est totale et peu différente du siècle précédent, l'économie ayant remplacée l'armée.
Pour les blancs tropicalisés, il reste difficile de combattre cette image avant tout parce qu'elle continue d'être véhiculée par certains, en affaires comme en amour. De fait, les relations personnelles sont peut être encore plus complexes à comprendre car elles posent souvent le doute sur l'authenticité des sentiments, d'un côté comme de l'autre. La simple observation ne permet justement pas de comprendre cette complexité et, parfois à tort, ces couples apparaissent comme un échange d'intérêt presque marchand : un homme blanc qui a compris que son portefeuille lui permettait accès libre à toute femme, eut égard son âge et son physique et une femme noire qui use de son physique pour une ascension sociale importante. Les discussions plus profondes avec certains de ces couples amènent à penser que la question financière est bien une donnée importante de l'équation mais qu'elle ne résume pas à elle seule ces histoires, parfois belles, parfois terribles. Terribles lorsque des enfants nés de ces alliances deviennent des leviers de chantage d'un côté comme d'un autre et qu'en une fraction de temps, l'idylle amoureuse se transforme en combat d'intérêts. Alors, les divergences culturelles prennent le pas sur l'harmonie passée, d'hommes qui kidnappent leur enfant pour le ramener en Occident et de femmes qui s'entourent d'autres hommes pour empêcher au père tout contact avec son enfant. Il existe ainsi un éventail très large dans les couples mixtes en Afrique, d'histoires cauchemardesques à peine plus déguisées que de la prostitution à des familles multiculturelles exceptionnellement épanouies. Mais lorsque l'histoire tourne court, le fossé culturel et financier vient rappeler que les relations amoureuses, même avec des enfants, ne sont pas nécessairement plus vecteurs d'intégration que le business et que même avec une famille métissée, un blanc ne sera jamais noir.

C'est une réalité avec laquelle hommes et femmes installés depuis parfois plusieurs décennies en Afrique doivent vivre sans forcément toujours pouvoir la comprendre totalement. Car le poids de l'histoire est peut être encore trop présent, car les différences de richesse ne peuvent jamais permettre d'écarter les relations d'intérêts, car l'évolution de ce continent se fait trop souvent sans ses propres habitants. C'est tout l'enjeu de ces blancs africains, celui d'une course contre la montre pour permettre aux locaux de rattraper le train en marche et éviter que l'Afrique devienne terre d'investissement par les étrangers pour les étrangers. Bien des entrepreneurs français rencontrés expliquent se conduire avec leurs employés en pères de familles, dans les bons comme les mauvais moments. Et dans les mauvais, être strict et sévère, dans le discours comme dans les actes, est le meilleur moyen de progresser. Y voir une domination du riche blanc sur l'homme noir, c'est ne pas comprendre ce qui forge ces relations d'entraide et pourquoi seule cette dureté permet une stabilité. Des expatriés sans contact aucun avec la population locale au courant bienpensant qui perçoit toute présence occidentale en Afrique comme une ingérence, l'équilibre est parfois compliqué mais indispensable à trouver.
Mais une fois trouvé, la dureté de la vie fait silence lorsqu'il ne s'agit plus que de constater quel fantastique terrain de projet l'Afrique devient au fil des années. Ici, tout est possible. Les entrepreneurs les plus ambitieux multiplient les secteurs d'investissement, parfois sur des coups de tête, parfois juste à la suite d'une discussion, rêvent plus grand pour une patrie qui est aussi devenue la leur. Et ne pensent plus au retour. Ce basculement, ce point de non retour, reste difficile à comprendre tant que l'on n'a pas touché du doigt ce qui fait de l'Afrique un continent si aliénant. Car après les soucis, les inquiétudes, les précautions, il ne reste plus que la vie, dans son sens le plus noble, où chaque jour est une nouvelle surprise, un nouveau défi, où rien n'est simple mais tout envisageable, où vivre pour vivre n'est pas qu'un concept. La place des blancs africains se gagne mais une fois obtenue, aucun n'imaginerait l'abandonner.