Interview du docteur Léhila Bagnan Tossa

Si Porto Novo est la capitale du Bénin, Cotonou est son centre névralgique. Comme dans beaucoup de pays traversés cette année, la médecine spécialisée tourne autour d'une unique ville, obligeant les populations du pays tout entier à faire le voyage pour avoir un diagnostic complet. C'est donc à Cotonou que nous faisons la rencontre, la dernière de ce tour du monde, du docteur Léhila Bagnan Tossa, pédiatre au Centre National Hospitalier Universitaire et formée à la cardiologie par Mécénat Chirurgie Cardiaque en 2010. Exemple d'investissement pour les enfants atteints de maladies cardiaques dans son pays et acharnée de travail, Léhila a déjà permis à une trentaine d'enfants d'être opérés par Mécénat ces trois dernières années. Nous avons passé une heure avec elle, l'occasion d'aborder la question de la détection au Bénin, de l'évolution du VIH mais aussi de la fuite des médecins vers des pays plus développés.

Dans quelle mesure votre formation en cardiologie joue un rôle important dans votre rôle de pédiatre à l'hôpital ?

Je suis pédiatre au Centre National Hospitalier Universitaire de Cotonou, je ne suis pas cardiologue. J'occupe aussi une fonction enseignante à l'université. Au début je ne faisais pas de cardiologie pédiatrique. Mécénat Chirurgie Cardiaque m'a proposé une formation avec des cours accélérés sur les cardiopathies congénitales. Mon chef d'unité me l'a recommandée car c'était un vrai avantage pour le service de pédiatrie : nous recevons beaucoup d'enfants et ne sommes pas toujours capables de diagnostiquer les cardiopathies. En général, les parents emmènent leurs enfants d'abord consulter un pédiatre avant un cardiologue. Au Bénin, il y a peu de cardiologues et beaucoup de déperdition entre chaque étape du diagnostic. Mécénat nous a donc formés pour que l'on soit en mesure de diagnostiquer ces cardiopathies et qu'on leur envoie les enfants malades. Avoir des notions en cardiologie est aujourd'hui une part importante de mon travail.




Mécénat finance l'intégralité de la prise en charge de l'enfant en France mais pas le billet d'avion, est-ce un point handicapant pour les familles ?

Cela peut être difficile car un billet reste très cher. Il existe trois types de patients : ceux qui ont l'argent et pourront financer le billet, ceux qui n'ont pas l'argent mais qui pourront le trouver grâce au cercle familial étendu et ceux qui n'auront pas les moyens quoiqu'il arrive. L'Afrique est une grande famille et même si la famille nucléaire n'a pas les moyens, elle pourra recevoir l'aide d'une tante ou d'un oncle. Dans le cas d'indigents qui viennent de villages reculés, cela relève de l'utopie. Dans ce cas, j'écris à Mécénat pour leur expliquer la situation et leur partenariat avec Air France permet d'obtenir les billets sans que la famille ne dépense quoique ce soit. Depuis 2010, une trentaine d'enfants béninois ont été opérés grâce à Mécénat, dont trois pour lesquels les billets d'avion ont été pris en charge. Je n'ai jamais eu de refus de leur part. Il existe une relation de confiance entre nous et ils savent que si je leur explique qu'une famille ne peut pas payer, c'est que c'est le cas.


N'avez-vous pas peur que des familles prétendent ne pas pouvoir payer le billet alors qu'elles le pourraient ?

Lorsque je diagnostique une cardiopathie, j'invite la famille dans mon bureau, je ne la vois pas dans le cadre dune consultation. Nous discutons, je leur donne le coût de l'opération, le coût de la réanimation, les frais de la famille d'accueil. Je leur montre que c'est une somme énorme qu'ils n'auront pas à payer. Je leur dis mot pour mot : tout ce que nous vous demandons, c'est de trouver les moyens de payer le billet d'avion. Et cela fonctionne toujours. Chacun demande à sa famille étendue. Et lorsqu'un enfant revient de son séjour en France, c'est toute cette famille étendue qui vient l'accueillir à l'aéroport, c'est très chaleureux. Alors quand une famille me dit qu'elle n'a vraiment pas les moyens de financer l'avion, je la crois. Nous avons l'exemple d'un enfant qui partira en novembre prochain en France. Le père de famille est agriculteur et fait déjà des pieds et des mains pour rassembler papiers, passeport et visa. Lorsque je lui ai annoncé le prix du billet, j'ai vite compris à sa réaction qu'il ne pourrait jamais le prendre à sa charge.


Justement, ces cas de cardiopathies dans les zones rurales arrivent-elles toujours jusqu'à Cotonou ?

Non mais cela devrait. A la faculté, les cours de cardiologie sont enseignés en troisième année. En principe, tout médecin généraliste, tout pédiatre doit pouvoir suspecter une cardiopathie en examinant un enfant. La fatigue de l'enfant lorsqu'il s'amuse, le souffle cardiaque entendu au stéthoscope sont des signes de base que tout médecin devrait connaître. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Les spécialistes sont concentrés autour des grandes villes, Cotonou ou Porto-Novo, mais il y a beaucoup d'enfants qui n'arrivent pas jusque là. Ou bien l'enfant que l'on reçoit a déjà 8 ans et n'a jamais été diagnostiqué avant. Ce que nous conseillons aux médecins et infirmières de village désormais, c'est d'envoyer l'enfant vers l'hôpital le plus proche s'il a le moindre doute.

En revenant de la formation de Mécénat en 2010, j'ai commencé ce travail d'information avec l'aide de la société béninoise de pédiatrie. Il fallait que les gens sachent que j'avais fait une formation de cardiologie et qu'il y avait une possibilité d'opérer les enfants atteints de cardiopathies congénitales. J'ai aussi averti mes collègues du privé pour qu'ils n'hésitent pas à m'envoyer leurs cas. L'information commence à circuler, beaucoup recommandent désormais aux familles de venir me voir au CHNU de Cotonou.




Dans tous les cas, l'enfant sera envoyé en Europe, jamais opéré ailleurs en Afrique ?

Aujourd'hui, non. Nous n'avons pas de chirurgie cardiaque au Bénin. Il y a eu des expériences de chirurgie cardiaque au Sénégal et en Côte d'Ivoire grâce aux interventions de « la Chaine de l'Espoir ». Il y a de la chirurgie cardiaque au Maroc, en Tunisie et encore en Egypte. Mais c'est encore embryonnaire pour l'Afrique noire. Pour le moment nous sommes donc encore tournés vers l'Europe, la France, l'Espagne, la Suisse.


Y-a-t-il de manière générale un manque de volonté politique concernant la santé dans les pays de cette région ?

Pour le Bénin, la santé est une priorité. Mais avant les cardiopathies, il y a des maladies qui touchent bien plus de monde qui sont la priorité, le paludisme, le VIH et la tuberculose. Le taux de VIH n'est pas très élevé, de l'ordre de 2 à 3% de la population mais selon les zones, cela peut aisément atteindre 8%. Il y a bien un programme de prévention, mais nous n'avons pas l'impression que les chiffres baissent.


Les femmes porteuses du VIH ne suivent pas de traitement pendant leur grossesse ?

Les mères séropositives suivent bien un traitement pendant leur grossesse. C'est un travail que l'on doit faire avec les gynécologues. Nous demandons à ce que toutes les femmes soient dépistées au niveau du bilan prénatal, donc au premier trimestre de la grossesse. Si la mère est dépistée au cours de la grossesse, nous avons un protocole de prise en charge et mettons systématiquement la mère sous ARV (Ndlr : Anti rétroviraux). Les recommandations de l'OMS sont que cette femme continue de prendre les ARV jusqu'à la fin de sa vie. Au moment de l'accouchement, l'enfant est rapidement pris en charge. Nous avons des résultats spectaculaires. Sur une cinquantaine de femmes séropositives, seulement trois ou quatre enfants sont infectés.


Pourquoi dites-vous alors que vous recevez beaucoup de cas d'enfants atteints du VIH si ce protocole est mis en place ?

Tout simplement car beaucoup de femmes ne font pas suivre leur grossesse par manque de moyens. Les enfants grandissent et c'est à cause d'une maladie opportuniste que l'on dépiste le VIH. Lorsque l'on remonte à l'origine de la maladie, on s'aperçoit parfois que la mère est infectée et que le père est déjà décédé. Cela doit être une prévention primaire : il faut que nous dépistions toutes les personnes en âge de procréer. Aucune mère ne souhaite que son enfant soit séropositif. Les dépistages sont gratuits, nous avons un programme qui permet la gratuité totale pour les ARV.


Si un enfant ayant une cardiopathie est séropositif, Mécénat pourra tout de même le prendre en charge ?

Malheureusement non, cela fait partie des critères d'exclusion. Un enfant dont la sérologie VIH est positive ne sera pas pris en charge par les associations qui opèrent les cardiopathies de manière générale. De même pour les enfants présentant un retard psychomoteur, une trisomie 21 ou les cas de drépanocytose homozygote SS.


Pourquoi ?

Il existe plusieurs raisons. D'abord parce que ce sont des enfants qui réagissent moins bien à l'anesthésie, qui font des séjours beaucoup plus long en réanimation et qui pourront poser problème au niveau de la cicatrisation. De fait, la prise en charge de ces enfants coûte beaucoup plus cher. Le long voyage que devra effectuer l'enfant pour être opéré est donc problématique.


N'êtes-vous pas surchargée ?

Si ! Il y a un vrai manque de médecins spécialisés ici, qui sont partis vers d'autres pays. Généralement, ils ont fait une formation en France et à leur retour, constatent qu'ils ne peuvent pas appliquer ce qu'ils avaient appris à cause du manque d'infrastructures et de matériel. Et cela se comprend : si l'on fait une formation et que l'on ne pratique pas, on oublie. En France, on vous explique que vous êtes compétent, que si vous restez vous aurez des bons postes avec les salaires qui suivent, les médecins ont tendance à accepter. Nous avons tous eu beaucoup de propositions.


 Article added on 2013-10-06 20:59:05




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